Il y a peu de temps, je rendais
visite à une vieille amie en maison de retraite. Tous les résidents, plus ou
moins atteints de la maladie d’Alzheimer comme il est si fréquent maintenant
que l’on maintient à domicile, autant que possible, les personnes âgées avec
toutes les aides requises…Beaucoup de femmes, on sait bien qu’elles vivent plus
longtemps que les hommes…
Je longeais les couloirs pour atteindre la chambre de Thérèse. Chaque
chambre est annoncée par une petite
plaque de faïence portant un numéro, un nom et une photographie.
Mon regard fut attiré soudain par un portrait placardé à côté d’un
numéro car c’était le portrait d’un homme. Les traits de ce vieillard ne me
rappelaient rien, bien sûr. Mais le nom, lui, était bien gravé dans ma
mémoire : Roland Rival.
Un homonyme donc, probablement…Dans mon souvenir – de plus ravivé de
fraîche date – Roland Rival était mon professeur d’anglais de la seconde à la
terminale. Un professeur adulé…Je le trouvais beau – ma meilleure copine en
était amoureuse (ou éprise, je ne sais plus !) – intelligent, brillant
même.
Un jour, il remplaçait un collègue de français absent, il nous a lu du
Camus, il lui ressemblait, cela m’avait donné l’envie de lire cet auteur que je
connaissais peu…Ce qui rendait le personnage encore plus admirable, c’est qu’il
était de surcroît traducteur d’œuvres littéraires et scénariste de films, de
films célèbres même, et de dramatiques ou téléfilms comme on les appelait à
l’époque. Presque un héros pour la gamine que j’étais.
Une année, il avait pris l’habitude, après chaque interrogation orale
d’un élève, de s’adresser à moi : « How much Miss
Lagarde ? ». Et j’énonçais une note – toujours soucieuse d’être à la
fois juste et indulgente pour mon ou ma camarade – note qu’il descendait
systématiquement d’un demi-point en s’exclamant : « Too much !
Too much ! »
Je parle d’un souvenir ravivé car, dans les mêmes jours, cherchant des
photos de ma fille, de sa naissance à l’âge adulte, à l’occasion de son
prochain anniversaire, je tombai, à la faveur d’un désordre incroyable,
inexplicable même, sur un petit cliché en noir et blanc, un peu flou, qui
représentait un professeur assis à son bureau (surélevé !) et à côté de
lui, une élève debout, penchée (moi !) devant quelques longues tables
alignées. Au dos de la photo, un petit mot signé Elisabeth (elle, je l’ai
oubliée) qui s’excusait de la médiocrité du cliché mais se faisait un plaisir
de me l’offrir, ne doutant pas du mien en le recevant…
Comme souvent dans ces lieux consacrés à la vieillesse et à la
dépendance, les portes sont entrouvertes. Réticente et curieuse en même temps,
je jetai un coup d’œil mais n’entrai pas.
Roland Rival était affalé dans son fauteuil, le menton sur la poitrine,
des cheveux blancs un peu longs cachaient son visage. Somnolent ou inconscient,
il s’affaissait sur l’accoudoir, un filet de salive coulait sur sa
manche…Curieuse, donc, je me renseignai auprès de la direction. Oui, leur
pensionnaire était bien l’homme que j’avais connu à trente ou quarante ans,
fringant, séduisant, auréolé de sa petite gloire dans le monde du spectacle
mais si proche de ses élèves dans leur petit lycée d’Ile-de-France.
Too much for me…
Roberte Revel
6 décembre 2014
6 décembre 2014
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